En cette rentrée 2016, en pleine campagne pour les primaires et donc dans l’optique de l’élection présidentielle de 2017, chaque candidat (déclaré ou supposé) y va de son discours sur les travailleurs détachés, sujet ô combien vendeur.
La démagogie, les medias et les conseillers en communication l’imposent tout autant que l’actualité. Résultats, les aberrations s’enchainent.
A GAUCHE…
On commence par Arnaud Montebourg , candidat à l’élection présidentielle qui déclare à Frangy-en- Bresse le 21 août que « le dumping social à domicile, c’est importer le chômage des autres pays européens« . Voudrait-il dire que les 300.000 travailleurs détachés en France sont responsable de nos 3,5 millions de chômeurs?*
Plus fort encore, Jean-Luc Mélenchon qui le 5 juillet a déclaré : »Je crois que l’Europe qui a été construite, c’est une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché, qui vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place. »
On frôle ici le discours de l’extrême droite (qui oppose les étrangers voleurs au autochtones travailleurs) chez un député européen qui s’est toujours revendiqué »internationaliste et humaniste ».
Continuons avec Le Premier ministre Manuel Valls qui a menacé le 30 juin de déroger au droit européen si le texte encadrant le travail détaché n’évolue pas. » […] Si on ne nous entend pas, il faudra dire que la France n’applique plus cette directive. » a-t-il ainsi déclaré.
Au delà du débat sur le fonds, le fait que notre premier ministre, pro européen de surcroit et quelques jours après le battage médiatique sur le Brexit, puisse déclarer aussi simplement avoir l’intention de »s’assoir » sur le droit européen me semble pour le moins curieux.
Fort heureusement (quoi que…), certaines personnes, même dans son propre camps, ont froncé les sourcils. Le député PS Gilles Savary, spécialiste de la question, s’est déclaré »circonspect » quant à l’application réelle d’une telle menace. »Ce ne serait pas dans l’intérêt de la France. Nous avons besoin des travailleurs détachés, dans le domaine de la recherche, de l’art… La vraie solution, c’est de mettre fin au dévoiement de cette pratique. Un nivellement par le haut des cotisations sociales serait trop compliqué à mettre en œuvre », juge-t-il par ailleurs. Bref il contredit clairement son »leader ».
Et sur l’obligation faite aux Etats membres de transposer les directives communautaires dans le droit national, »au niveau juridique, c’est impossible de ne pas appliquer la directive, explique l’avocat européen Jean-Pierre Spitzer. C’est la norme supérieure – celle de l’Union européenne – qui doit s’appliquer. Mais vous pouvez toujours menacer de ne pas le faire… ».
En conclusion, Manuel Valls y va au bluff…
… COMME A DROITE
Venons-en maintenant aux candidats de la droite.
Alain Juppé s’est déclaré à plusieurs reprises opposé au système actuel des travailleurs détachés. En septembre 2015, l’effondrement d’un balcon dans un programmes immobiliers neufs de Bordeaux l’avait amené à montrer du doigt »le manque de formation et de qualification des salariés du secteur », tout en enchainant dans la phrase suivante avec l’affirmation selon laquelle »le système des travailleurs détachés est critiquable à plus d’un titre ».
Raccourcie, amalgame et stigmatisation habituelles. Mais il est vrai qu’il est toujours plus facile de taper sur les ouvriers détachés que sur les promoteurs et constructeurs français (Bouygues et Ramery dans le cas présent, mises en cause pour un défaut de mise en œuvre et d’autocontrôle).
Pour Bruno Le Maire, »il faudra revoir de A à Z la directive sur les travailleurs détachés dont les résultats sont à l’opposé de ce que l’UE avait promis ». C’est flou, c’est vague mais ca va dans le sens du vent donc c’est parfait.
Quant à Nicolas Sarkozy, il s’est présenté sur le sujet des travailleurs détachés en sauveur de la France le 15 septembre. « Le statut des travailleurs détachés, je le refuse. […] Je ferai changer les règles européennes« , a-t-il promis, en cas de réélection en 2017. J’ai envie de dire: rien de moins??!!
En effet, la révision de cette directive (enclenchée depuis le printemps 2016) devra obtenir une majorité qualifiée au Conseil ET au Parlement européen, alors même que 11 états se sont déjà opposés à cette reforme.
N’est-il pas un peu présomptueux?
En fin de compte, on constate que les candidats de gauche comme de droite sont unanimes dans leur volonté de reformer, sinon supprimer, la directive sur les travailleurs détachés, cause d’un soi-disant dumping social insupportable.
Et pourtant la députée rapporteur générale au Budget Valérie Rabault (PS), s’appuyant sur un rapport du Trésor et du ministère des Finances, a calculé que, contrairement aux idées reçues, un salarié français payé au niveau du Smic coûte moins cher à son entreprise que son équivalent polonais ou portugais détaché en France!!!
En effet, à ce niveau de rémunération, les contributions sociales employeurs dues par les entreprises localisées en Pologne, au Portugal et en Roumanie sont supérieures à celles localisées en France.
Résumer la problématique du détachement à un simple dumping social déloyal n’est donc pas suffisant et il faut plutôt, comme l’a noté Francois Hollande au sortir du Conseil européen post-Brexit »supprimer les abus par un encadrement strict des détachements et une sanction des employeurs indélicats ».
Reformer ne veut donc pas forcement dire supprimer. Mais les promesse de campagne des candidats n’engagent que ceux qui les écoutent…
* Chômeurs de catégorie A en Aout 2016 selon Pole Emploi.