C’est avec beaucoup d’intérêt que nous avons regardé, comme bon nombre de français, le nouveau numéro de Cash Investigation portant sur les travailleurs détachés.
Cependant nous nous sentons obligés, vis à vis de nos clients par exemple, d’apporter quelques précisions et commentaires sur ce reportage. En effet, si le travail d’investigation était sans aucun doute de qualité, avec un vrai travail de terrain, des recherches, des preuves et des interviews pertinentes, plusieurs points nous semblent très discutables:
- Evidemment, quelques erreurs, certaines majeurs et flagrantes, se sont immiscées dans le reportage. La première, après seulement 5 minutes, concerne le salaire net des intérimaires roumains détachés en France (notamment ceux détachés sur le terminal méthanier). Les journalistes constatent, outrés, que les intérimaires touchent un salaire net de 5,50 euro au lieu des 7,50 euro réglementaire (smic français). Il convient tout de même de préciser que les 5,50€ évoqués par l’intérimaire roumain sont très probablement »net après impôts » alors que les 7,50 euro réglementaires sont net avant impôt. Une différence qui réduit de moitié l’écart constaté. S’il y a bel et bien fraude, elle n’est peut-être pas aussi importante que ce qui est dit.
- Madame la Ministre du Travail, se présente sur le plateau de France 2, en »Robin des bois » des temps modernes, à la pointe de la lutte contre la fraude aux travailleurs détachés. Certes, mais lorsqu’elle précise être à la pointe de cette lutte « avec 4 ou 5 autres pays européens », c’est donc aussi rappeler qu’une grande partie des pays européens est favorable aux détachements de travailleurs et aux principes financiers qui en découlent. Avant tout les pays d’Europe de l’Est qui subsistent grâce aux salaires gagnés par ces »forçats », mais aussi d’autres pays victimes de pénuries de main d’œuvre (Allemagne par exemple). La construction européenne n’est pas là pour protéger les intérêts particuliers de quelques pays (sur le déclin) mais de favoriser l’intérêt général et de la majorité. On ne peut donc pas avoir les avantages sans certains inconvénients.
- Des propres mots de la Ministre, un de ses principaux axes de bataille porte sur l’interdiction des entreprises »boites aux lettres » dont 100% de l’activité est tournée vers le détachement de personnel. Elle souhaiterait donc »imposer à l’échelle européenne une loi interdisant ce mode de fonctionnement ». Là encore, louable mais très approximatif puisque cette loi existe déjà depuis bien longtemps. En effet, les textes européens et nationaux parlent déjà clairement (notamment pour l’obtention des fameux formulaires A1) de l’obligation d’avoir »une activité significative dans le pays d’origine », en principe de l’ordre de 30% du chiffre d’affaires et des effectifs. Il conviendrait donc d’être un peu plus précis et surtout de lutter contre les véritables fraudeurs plutôt que d’imposer de nouvelles contraintes qui ne dérangeront que ceux qui respectent les règles et certainement pas les profiteurs du système et autres mafieux.
- Apres deux heures d’émission, le constat de tous les intervenants est sans appel, le mien aussi! Il ne s’agissait que d’un dossier à charge, un de plus. Les travailleurs détachés seraient responsables de tous les maux de la France, ce ne seraient que des esclaves et leurs employeurs des mafieux sans scrupules. Mais pourquoi ne pas être un peu plus objectifs, nuancer et éventuellement élargir le champs de recherche? Il existe aussi des entreprises qui détachent du personnel en toute légalité (et pas seulement Interim Plus); des travailleurs détachés parfaitement payés et logés; des entreprises françaises qui en profitent légitimement et qui maintiennent leur activité grâce à cela plutôt que de fermer boutique etc.
Et puis quid du surcout des produits et services pour le consommateurs français si le cout du transport ou de la main d’œuvre devait être revu partout à la hausse? Quid des pénuries de main d’œuvre qui pénalisent aussi les entreprises françaises (et dont la même Elise Lucet parlent régulièrement dans son JT)? Quid des marchés que les entreprises françaises (y compris publiques) perdraient si elles refusaient pour des raisons pseudo-éthiques et faussement économiques d’utiliser des pratiques légales qui ne dérangent qu’elles?
Un travail de journaliste, même d’investigation, devrait avant tout rester objectif. Ils l’ont peut être oublié. Dans leur volonté de réaliser un dossier à charge et d’aller dans le sens d’un populisme économique, ils ont commis un amalgame permanent entre des pratiques illégales (que l’on retrouve dans n’importe quel secteur d’activité) et des pratiques parfaitement légales et autorisées mais qui »dérangent » certains.
S’ils étaient venus nous interviewer, ils auraient découvert une entreprise qui réalise 70% de son activité dans le pays d’origine, qui n’a jamais eu le moindre redressement ou la moindre amende en 10 ans de contrôles de l’inspection du travail et de l’Urssaf, dont les intérimaires sont payés conformément à la réglementation française (et parfois même plus) qui sont logés dans des Gites de France ou des Appart’ hôtel et qui conduisent des voitures de location Hertz tous frais payés.
Bien loin de la soi-disant réalité décrite par Cash Investigation.